Le Fuseau
- Extrait -
Chapitre 1
Aurore grimpe les escaliers de la tour quatre à quatre et fait irruption dans l’atelier.
— Nourrice, on te cherche partout ! crie la princesse.
La vieille femme qui file sa quenouille, assise devant la fenêtre ouverte pour mieux profiter du soleil d’été, lève les yeux et sourit.
— Que se passe-t-il, mon enfant ?
— Nourrice, enfin ! Je te trouve ici, au milieu de tes fils et de tes instruments alors que le prince va arriver ! Et la reine ne veut personne d’autre que toi pour la coiffer. Tu sais l’importance qu’elle attache à sa toilette : si tu ne t’en occupes pas, elle n’acceptera de se montrer que quand le prince sera reparti !
— Ce qui ne serait pas si grave, répond la nourrice en se levant. Ce prince ne vient pas pour elle, mais pour toi, mon Cœur. Quand il te verra, ta mère pourrait bien l’accueillir en chemise de nuit…
— Oh, non, Nourrice ! Que penserait le prince ? Je voudrais tellement faire bonne impression ; car au fond de moi, je tremble : m’aimera-t-il ? Est-il vraiment celui que j’attends ? La reine, pour sa part, semble tout sauf enthousiaste ! Elle ne m’aime pas, n’est-ce pas ? Elle ne m’a jamais aimée et maintenant, elle ne veut pas que je sois heureuse.
— Ne juge pas trop vite, mon Ange. Le bonheur est une chose plus compliquée qu’il n’y paraît. La reine se fait du souci pour toi, elle pense que tu n’es pas prête. Elle est parfois un peu brusque, mais elle veut ton bonheur, comme nous tous.
— Tu es sûre ? J’ai tellement hâte ! Et je doute aussi…
— Voilà qui est bien normal. Mais je te promets que rien ne pourra faire obstacle à l’avenir radieux de ma petite princesse. Et puisque je suis demandée d’urgence, sois gentille, range mon fuseau. Et ensuite, viens nous rejoindre. Toi aussi, tu as besoin d’un coup de peigne.
La nourrice tend l’instrument à la jeune fille qui s’en empare d’une main hésitante. Du plus loin qu’elle se souvienne, on lui a interdit de toucher aux grands fuseaux de fer. Aux autres aussi d’ailleurs. Pour une raison obscure, le roi ne veut pas que la princesse file.
Maintenant, seule au milieu de l’atelier, Aurore regarde autour d’elle : enfant, que de temps elle a passé ici, à regarder travailler sa nourrice ! C’est depuis qu’elle a pris ses quartiers dans la demeure seigneuriale qu’elle n’y vient plus guère. Pourtant, elle aime ce décor familier : les étagères sur lesquelles sont rangés les quenouilles, les peignes et les fuseaux ; la table massive, au milieu de la pièce, couverte d’écheveaux et de pelotes de fil ; le métier à tisser dressé près de la fenêtre ; les sacs et les paniers posés dans tous les coins…
Mais l’heure n’est pas aux réminiscences et Aurore n’est plus une enfant. Sa nourrice ne lui aurait jamais confié son grand fuseau si elle n’en était pas convaincue. Combien de fois ne l’avait-elle pas mise en garde :
— Ne touche pas aux fuseaux, mon Ange, surtout ceux en fer, tu peux te faire mal avec leurs pointes.
Aurore lève l’outil vers la lumière pour admirer les scènes miniatures sculptées autour du balancier. Un rayon de soleil y accroche des éclats d’argent.
Tout à coup, un claquement sec retentit dans la cour du château. Aurore sursaute et lâche le fuseau. Pour le rattraper, elle avance son autre main dans laquelle la pointe acérée de l’outil vient se ficher. Sous l’effet de la douleur, la jeune fille pousse un cri et s’affaisse sur le sol.
***********
Aurore ouvre les yeux et regarde autour d’elle : un crépuscule terne a remplacé l’éclatant soleil. Sur la table, fuseaux et quenouilles sont éparpillés dans le plus grand désordre. Les étagères sont couvertes de poussière, les paniers ne contiennent plus que des lambeaux de matière rongée par les mites et sur le métier à tisser, les fils de trame tombent en poussière.
Mais une douleur lancinante lui fait oublier son étonnement : elle baisse les yeux sur sa paume ensanglantée.
— Nourrice, crie-t-elle, je me suis fait mal !
Puis, elle se précipite vers la porte qu’elle n’arrive pas à ouvrir à cause de sa main blessée qui goutte sur sa robe.
— Il faut que je couvre cette blessure, murmure-t-elle.
À côté de la cheminée, noire de suie, un pan de mur dissimule un recoin obscur dont Aurore ne se souvient pas. Elle y découvre une huche ouverte, dans laquelle sont jetés, plutôt que rangés, quelques ustensiles de cuisine rouillés. Une couverture élimée recouvre une paillasse posée à même le sol. À côté, traîne un chiffon déchiré qu’elle ramasse et enroule autour de sa paume.
Un roulement de tonnerre résonne dans la pièce et Aurore s’aperçoit avec stupeur que le ciel s’est couvert de nuages noirs.
Brusquement, le crépitement de la pluie remplit l’atelier et des rafales de vent glacé s’engouffrent par la fenêtre ouverte. La jeune fille traverse la pièce en courant et referme avec peine les lourds battants.
Repartant vers l’entrée, elle s’acharne sur la porte qu’elle ne parvient toujours pas à ouvrir. Alors, elle appelle à s’écorcher la gorge et tambourine sur le bois avec sa main valide qui lui fait bientôt aussi mal que sa main blessée.
Sans résultats ! Elle ne comprend pas, elle sait seulement que le prince arrive et que personne ne vient la délivrer.
Finalement, épuisée, elle s’effondre contre le mur et sombre dans le sommeil.
Qui Dort… : La Belle au Bois Dormant
Un petit résumé et une interprétation personnelle du conte traditionnel.
File la laine, file le temps
La genèse du Fuseau et quelques mots sur ses symboles.
ENVIE DE CONNAÎTRE LA SUITE?
Pour recevoir un lien vers l'histoire complète laissez ici votre adresse mail*
* Confidentionalité et privilège
Je me réjouis de vous offrir l'integralité de cette histoire. Votre adresse email ne me servira qu'à vous informer sur la publication de mes écrits, de manière strictement confidentielle. Aucune autre forme de contact ne sera engagée.