Miroir
- Extrait -
Chapitre 1
Dans l’obscurité, la reine dévale l’escalier en colimaçon qui mène aux sous-sols du château et s’arrête, le souffle court, devant une porte entrebâillée qu’elle ouvre d’un geste vif. Elle est accueillie par une voix de stentor qui retentit sous la voûte humide :
— Majesté, je vous attendais ! Comment allez-vous, ce soir ?
Les sons ricochent contre les murs de pierre nue et déferlent sur la reine comme une marée déchaînée. La jeune femme se plaque les mains sur les oreilles et murmure :
— Je vais bien, cher Miroir, mais de grâce, ne parlez pas si fort ! Je ne suis pas sourde !
— C’est que, Majesté, répond l’accessoire à peine plus doucement, je maîtrise mal mon enthousiasme à l’idée de vous servir. Me poserez-vous la question habituelle, aujourd’hui? Ou voulez-vous explorer quelque autre territoire que je me ferai un plaisir…
— Ce sera comme d’habitude, Miroir ! interrompt la reine en s’approchant.
— Fort bien, Majesté : toutes les données pertinentes ont été collectées, triées et analysées. Cependant, pour la forme, vous comprenez, le protocole demande…
— Mais certainement, murmure la reine, si vous m’en laissez le loisir.
Puis, face au large cadre argenté qui étincelle de mille feux, elle chuchote :
- Miroir, Miroir Magique,
À ma question euphorique,
Donnez réponse empirique :
Suis-je la plus belle femme du royau…
La réponse fuse, enthousiaste :
— Oui, Majesté ! Absolument ! Irrévocablement ! Sans l’ombre d’un doute, vous êtes la plus belle femme de ce royaume et de tous les royaumes voisins. Et pour justifier mon diagnostic, je vous ai concocté un bref récapitulatif audio-visuel des moments-clés de ces derniers jours. Installez-vous dans votre fauteuil, Majesté, et regardez. Cela vous redonnera du cœur à l’ouvrage, car il vous faut présider le grand festin qui clôt les tournois annuels et je vous sens bien lasse.
La lumière des torches se tamise, la surface argentée se met à frémir, puis des scènes récentes apparaissent dans le miroir : les souverains accueillant leurs invités au début des festivités ; leur arrivée dans les tribunes du tournoi et aux festins donnés chaque soir en l’honneur des vainqueurs...
Fascinée, la reine observe le roi quand il la voit paraître : un sourire rajeunit son visage, sa silhouette se redresse, son pas se fait souple et puissant quand il vient à sa rencontre et qu’il l’escorte au milieu des regards admiratifs, des soupirs de plaisir et d’envie, des silences émerveillés.
— Qu’en pensez-vous, Majesté ? s’écrie le miroir. Je me suis dépassé, n’est-ce pas ? J’ai fait dans la concision absolue, je suis allé chercher l’image qui…
Un sourire heureux éclaire le regard de la jeune femme.
— C’est vrai, Miroir, du très bon travail dont je vous remercie.
Elle se lève, s’approche du miroir et scrute son reflet. Le long de sa tempe, une mèche déplacée révèle une fine ligne nacrée qui remonte vers son front.
— J’avais oublié, murmure-t-elle, cette chute dans la forêt, quand j’étais enfant, sur une écharde de bois qui m’avait entaillé le visage. Pourtant, il m’arrive encore de rêver au regard horrifié de mon père quand j’étais rentrée au château le visage couvert de sang et qu’il avait cru que j’étais à jamais défigurée. Ce soir-là, j’ai compris que, pour moi, l’enfant illégitime, la beauté et la grâce de mon visage étaient les garants de son amour et de ma place auprès de lui !
— Vous étiez bien jeune, Majesté, pour saisir tous les tenants et aboutissants de votre situation, en particulier au sujet de votre mère. J’aimerais, un jour, vous présenter les points essentiels et incontournables de cette affaire.
— Qu’y a-t-il à dire, Miroir, d’une étrangère qui séduit un jeune prince et abandonne ensuite le fruit de ses amours coupables ?
— Ceci est la version officielle, Majesté. Elle a ses mérites, mais elle oublie de mentionner certains détails importants ; et j’ajouterai qu’elle interprète de façon peu rigoureuse ceux qu’elle a jugé opportun de retenir. Autrement dit, Majesté…
— Ça ne fait rien, interrompt la reine en caressant du bout des doigts la ligne suspecte. La blessure s’est cicatrisée et j’ai pu rester auprès de mon père qui a continué de clamer que ma beauté le protégeait et que là où j’apparaissais, il devenait le maître.
— Un bel hommage, Majesté, déclare le Miroir, aux implications un peu lourdes pour une enfant, peut-être.
— D’où vient que je doute, alors, encore et toujours, de n’être jamais la reine que mérite mon roi ? D’où vient que je me sente prisonnière d’invisibles barreaux et rêve de silence et de solitude ? Dans ces moments-là, Miroir, vous êtes le seul à pouvoir me rassurer.
— Et je fais mon possible, Majesté. Ainsi, ce petit bonus qui, je l'espère, vous apaisera.
Dans le miroir apparaît une petite fille, fraîche et vive comme une source de montagne qui gambade autour de la reine.
— Ce petit soleil n’illumine-t-il pas votre vie ? demande le miroir en scintillant de plaisir. La princesse est aussi gracieuse que charmante, Majesté. Elle a un caractère en or et met dans sa petite poche tous ceux qui l’approchent, même si rien ne la comble davantage que d’être auprès de vous. J’ai les données statistiques qui le prouvent.
— C’est vrai, cher Miroir. C’est une enfant délicieuse. Je n’ai guère de temps à lui consacrer mais je la vois heureuse et bien entourée ; et elle fait la joie du roi, ce qui me console de ne pas lui avoir donné un fils. Mais sera-t-elle belle ? Elle me ressemble si peu ! Or il faut bien que cette enfant soit belle, n’est-ce pas ? Sinon, que deviendra-t-elle ?
— Vous n’avez aucun souci à vous faire, Majesté, je vous le promets, murmure le miroir à la reine qui s’éloigne déjà.
Miroir, mon Beau Miroir
Ce que je vous raconte
Il était une fois… Blanche-Neige
Résumé et interprétation du conte traditionnel.
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